De migrant à réfugié

novembre 30th, 2016 no comment

Lorsqu’une personne arrive en France, elle doit passer par plusieurs étapes avant l’obtention éventuelle du statut de réfugié. Retour en détail sur cet itinéraire complexe. «En arrivant en France, tout prend du temps» : ce constat d’un associatif illustre la difficulté et la longueur de la procédure pour une personne migrante souhaitant obtenir l’asile en France. De la pré-inscription à la délivrance éventuelle du statut de réfugié, les délais atteignent, en moyenne, quinze mois. Il y a un an, ils étaient de dix-neuf mois. La loi votée à l’été 2015 fixait, elle, un objectif de neuf mois. C’est en Ile-de-France, où plusieurs centaines de personnes doivent patienter durant des jours avant même de pouvoir entrer dans la procédure, que le retard est le plus notable. Etape par étape, Libération a suivi ce parcours compliqué. «Peace for all» : sur son Tee-shirt rouge, à l’effigie de l’équipe de cricket des «Kabul Kings», une colombe prend son envol. Hamdard a le sourire. L’Afghan, venu avec un ami, a obtenu sa convocation pour se rendre à la préfecture de police après s’être fait préenregistrer dans des locaux de France Terre d’asile, boulevard de la Villette (dans le Xe arrondissement de Paris). C’est la première étape d’une demande d’asile. Elle consiste à déclarer des informations basiques : nom, prénom, date de naissance, date d’arrivée en France, nombre d’enfants, nom du conjoint. Dans la salle, les demandeurs patientent après avoir passé un premier pointage fait par deux médiateurs à l’extérieur des locaux. Ils complètent ensuite le questionnaire avec un agent d’accueil à l’intérieur d’un box et obtiennent alors un rendez-vous à la préfecture pour l’enregistrement. Le pré-accueil n’est aucunement inscrit dans la loi. C’est une étape obligatoire ajoutée par les préfectures afin de réduire les files d’attente et de fluidifier la procédure : on dénombre trente-quatre centresdans les principales villes de France. En Ile-de-France, on compte huit plateformes, une dans chaque département. Une fois préenregistrée, la personne obtient un rendez-vous dans un délai théorique de trois jours. Dix en cas de grosse affluence. «Je suis venu sept fois pour obtenir un rendez-vous et j’ai dormi trois nuits devant la porte. Sans même avoir de couverture», explique Hamdard, sans pourtant perdre son air jovial. «Si tu ne restes pas devant la porte, tu n’as pas de chance d’obtenir un rendez-vous.» Devant les locaux de la plateforme de pré-accueil parisienne, les demandeurs d’asile isolés, quasiment uniquement des hommes, se sont installés dans l’espoir d’obtenir un rendez-vous. En moyenne, «la file est constituée de 150 à 200 personnes», souligne Guillaume Schers, directeur de la gestion des situations d’urgence pour l’association. «Il peut y avoir des points de fixation et des tensions», reconnaît-il. Mais il est plutôt satisfait des progrès réalisés depuis quelques mois. Chaque jour, l’équipe de quatre opérateurs accueille en moyenne 60 personnes. Si la plateforme existe depuis plus d’une dizaine d’années, «l’ouverture de ce nouveau site sur le boulevard de la Villette ainsi que l’augmentation des moyens de 30% ont été non négligeables», explique Guillaume Schers. Depuis la fin du mois de mars, les activités de France Terre d’asile ont été en effet redistribuées entre deux sites afin de gagner de l’espace : le pré-accueil se fait dans les nouveaux locaux du boulevard de la Villette ; les permanences sociales, la distribution du courrier et la domiciliation rue Doudeauville, dans le XVIIIe arrondissement, siège historique de l’association. Cependant, force est de constater que la concentration de la demande en Ile-de-France (40% du total national) est toujours problématique. «Quand j’ai 50 places, mais que j’ai 300 migrants devant la porte, qu’est-ce que je fais ?» s’interroge Pierre Henry, directeur général de France Terre d’asile. «La situation est tendue à Paris. Les dispositifs sont basés sur les flux de 2014-2015», explique-t-il. Une observation que confirme Jean-François Ploquin, directeur de Forum Réfugiés-Cosi, une association qui accompagne les demandeurs d’asile dans leur parcours et gère quatre plateformes de primo-accueil en Rhône-Alpes. «Il faut prendre en compte la question territoriale», indique-t-il. Quand, au mois de mai, Paris enregistrait 1 100 personnes isolées pour les faire entrer la procédure de demande d’asile, Lyon en accueillait 39. D’où la nécessité d’une réorientation, promise dans la réforme de juillet 2015. Pour désengorger Paris, les migrants pourront être redirigés en Ile-de-France ou d’autres régions. Pierre Henry attend avec impatience cette régionalisation, qui prend du temps à se mettre en place. «Nous gérons aussi un local de pré-accueil dans le Val-de-Marne, à Créteil. Et ce n’est pas du tout la même situation là-bas», explique-t-il. Contre 60 rendez-vous attribués chaque jour au préguichet de Paris, Créteil n’en distribue que 14. En attendant, devant la plateforme de pré-enregistrement parisienne, les primo-arrivants continuent d’attendre. Venu d’Afghanistan, Hussain s’impatiente avec son neveu depuis plusieurs jours. Dans sa main, il tient un précieux papier rose : «RDV à la préfecture le 27 juin à 9 heures», est-il écrit. Il a dix jours à patienter, contre les trois réglementaires… Une fois pré-enregistrées, les personnes doivent aller s’inscrire au guichet unique de leur préfecture de référence. Celle-ci est définie lors du pré-enregistrement. Les associations plaident donc pour une meilleure répartition, dès la phase d’inscription, des demandeurs. A la préfecture, un agent récupère le document complété en pré-accueil, relève les empreintes digitales et procède à un entretien individuel afin de déterminer quel pays est responsable de l’examen de la demande d’asile, conformément au règlement de Dublin II. Depuis juillet 2015, la procédure a aussi été simplifiée : il n’est plus obligatoire de posséder une adresse postale pour faire une demande d’asile, «ce qui submergeait les associations», rappelle Sandrine Mazetier, députée socialiste auteure d’un rapport sur l’asile en 2014. Si la décision de la délivrance d’un titre de réfugié est réservée à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), la préfecture doit tout de même déterminer de la mise en place d’une procédure dite «accélérée» ou «normale». La procédure accélérée est enclenchée dès lors qu’il s’agit du réexamen d’une première demande, si cela fait plus de quatre mois que la personne est en France, lorsque le pays d’origine est sur la liste des pays sûrs ou encore si la personne a fait une demande sous plusieurs identités. «En procédure accélérée, il y a moins de garanties procédurales, on vous sanctionne», regrette Eve Shashahani, avocate spécialisée dans le droit des étrangers. L’Ofpra n’a par exemple que quinze jours pour statuer sur la demande d’asile et des documents supplémentaires ne peuvent pas être apportés à un dossier. En 2015, 28,4 % des demandes ont été placés en procédure accélérée. Chaque demandeur d’asile doit ensuite compléter un «récit de vie». En quelques pages, il explique les raisons de son départ, ses craintes, les conditions dans lesquelles il a vécu son exil avant de l’envoyer à l’Ofpra. L’office a enregistré, l’an passé, 80 075 demandes. Chaque personne narre son histoire librement. Le demandeur d’asile a vingt et un jours pour constituer et envoyer son dossier à l’Ofpra afin qu’il y soit reçu. Evidemment, la barrière de la langue est problématique. Si les associations sont nombreuses à proposer des aides à la constitution du dossier, beaucoup de demandeurs d’asile ne bénéficient pas de ce soutien. Pour le récit de vie, des traducteurs proposent leurs services. A 30 euros la page. «Les moins fortunés sont donc forcés de faire tenir le récit de toute une vie sur une seule page, ce qui est handicapant», déplore Eve Shahshahani.

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