Macron et l’alcool

mars 6th, 2018 no comment

« Il y a un fléau de santé publique quand la jeunesse se saoule à vitesse accélérée avec des alcools forts ou de la bière, mais ce n’est pas avec le vin ». Cette phrase ne vient pas du lobby viticole – comme on pourrait le penser naïvement. Elle a été prononcée il y a quelques jours par Emmanuel Macron devant des représentants de la presse régionale et elle (me) pose problème. Ainsi, à en croire le chef de l’État, le « binge drinking » (expression anglaise signifiant boire le plus et le plus vite possible pour parvenir à l’ivresse) n’existe pas avec du vin. J’ai donc été victime d’hallucinations en voyant récemment de grands ados acheter pour quelques euros plusieurs bouteilles de (mauvais) blancs « arôme pêche » (sic) dans un supermarché à côté de chez moi. J’ai aussi rêvé en entendant mon fils de 19 ans vanter ces produits « vraiment pas chers ». Et ma fille de 21 ans dire qu’elle trouve ça « bon et sucré »… Ainsi donc, dans notre beau pays de vignes centenaires, on ne consomme que des grands crûs – et toujours modérément, c’est bien connu. C’est même une telle évidence que, début février Agnès Buzyn, la ministre de la Santé pour qui j’ai le plus grand respect, avait cru bon de rappeler sur France 2 cette vérité : « En termes de santé publique, c’est exactement la même chose de boire du vin, de la bière, de la vodka ou du whisky (…) On a laissé penser à la population française que le vin serait protecteur, qu’il apporterait des bienfaits que n’apporteraient pas les autres alcools. C’est faux scientifiquement, le vin est un alcool comme un autre. » Que n’avait-elle osé dire ! Tout le monde ou presque lui est tombé dessus. La voilà étiquetée » intégriste de l’hygiénisme « par Jacques Dupont, journaliste œnologue au Point. Accusée de « diaboliser le vin » par un collectif emmené par Bernard Pivot et, plus surprenant, par l’oncologue David Khayat, personnage plus médiatique que scientifique. Désavouée par Christophe Castaner, qui estimait jeudi dernier sur BFM qu’ « il y a de l’alcool dans le vin, mais c’est un alcool qui n’est pas fort (…) le vin fait partie de notre culture, de notre tradition, de notre identité nationale. Il n’est pas notre ennemi. » Je suis moi-même un amateur de vin ; il m’arrive aussi plus souvent qu’à mon tour de prendre un digestif ; j’ai connu et je connaitrai sans doute encore l’ivresse. C’est pourquoi je me sens autorisé à rappeler à M. Castaner quelques chiffres : l’alcool, c’est en France 50 000 décès par an, la première cause de handicap non génétique à la naissance, le deuxième facteur de mortalité précoce évitable. Sans oublier toutes les violences qu’il provoque – « conjugales, routières » et autres comme l’a précisé Agnès Buzyn le 19 février dernier. La Cour des Comptes a fait le calcul : l’alcool nous coûte, collectivement, 120 milliards d’euros ! L’été dernier, j’avais découvert avec inquiétude la nomination d’Audrey Bourolleau comme conseillère agriculture de l’Élysée. Car cette jeune femme de 37 ans était jusque-là déléguée générale de l’association « Vin et société », un faux-nez du lobby viticole fier de proclamer sur son site internet que « la génération des 18/30 ans s’est réappropriée le vin ». J’étais d’autant plus inquiet qu’en 2015 Emmanuel Macron, ministre de l’Économie, avait défendu un amendement assouplissant la loi Évin au moment même où Agnès Buzyn, alors président de l’Inca (Institut national du cancer) voyait dans cet assouplissement « un grave échec pour la santé publique et une victoire des lobbies ». Pour autant, devant la détermination affichée du gouvernement à promouvoir la prévention sous toutes ses formes, j’espérais qu’Emmanuel Macron serait aussi sévère avec le vin qu’il l’est avec le tabac. Je me suis trompé.

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